Page 39 - Invention Magazine 197 - Concours Lépine
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Le souhait d’Yves Klein était de « créer, établir et présenter au public, un état sensible pictural dans les limites d’une
         salle d’exposition de peinture ordinaire. Créer une ambiance, un climat pictural invisible mais présent, dans l’esprit
         de l’indéfinissable ». Cette immatérialisation du tableau agirait bien plus efficacement sur la sensibilité des visiteurs
         de l’exposition, que la plupart des tableaux visibles ordinaires.

         Pour continuer, Klein avait parfaitement orchestré l’effet de l’exposition sur le visiteur, en organisant le bleu comme
         un état préparatoire, dans l’objectif de faire ressortir chez chacun une certaine sensibilité picturale. Klein avait
         même prévu de faire s’illuminer en bleu l’obélisque de la Place de la Concorde, pour créer un grand trait bleu dans
         le ciel parisien, mais finalement cela n’a pas eu lieu.

         Deux ans plus tard, en 1960, l’artiste Arman, son ami de toujours, a réalisé une exposition intitulée « Le Plein » dans
         la galerie Iris Clert. Lors de celle-ci, il remplit, littéralement, la galerie d’Art avec des objets de récupération et des
         objets trouvés dans les poubelles. Cette exposition fait directement écho à l’exposition, dite du Vide, de Klein.


         Sensibilité et immatérialité


         En 1959, Yves Klein est invité à Anvers pour exposer. Une   Par ailleurs, dès 1957, Klein a mis en scène des éponges,
         fois encore, aucun élément tangible n’est présent dans   un objet au centre de son œuvre. Il les  découvre en les
         l’exposition, Klein étant toujours désireux de mettre   utilisant dans son atelier et le bleu qui engorge rapide-
         l’immatérialité à l’honneur.                         ment l’éponge ne le laisse pas indifférent. Sa perception
                                                              du bleu au travers de l’éponge lui apparaît comme une
         L’aspect  financier  est  fondamental  dans  le  monde  de   évidence et cet objet devient récurrent dans son expres-
         l’Art. Ceci étant, Yves Klein va vendre des zones de sen-  sion artistique. Il ira même jusqu’à comparer les lecteurs
         sibilité picturale immatérielles, en d’autres termes des   de ses tableaux à des éponges, qui après avoir contem-
         zones de « vide » ou zones de « rien » qui sont, en réa-  plé longuement sa peinture, en sont complètement im-
         lité, un tout dans l’œil  de l’artiste. Le prix de ces zones   prégnés en sensibilité comme des éponges.
         est établi en or et leur vente s’accompagne d’un rituel
         très particulier. Plusieurs personnalités issues du monde   Pour le foyer de l’Opéra de Gelsenkirchen, Klein ima-
         de l’Art sont témoins de ces ventes, un reçu est même   gine d’immenses peintures murales dans lesquelles il
         édité sur lequel figure le nom de l’acheteur et le prix en   met en scène des éponges. L’inauguration de l’Opéra en
         grammes d’or.                                        1959 lancera Klein en Allemagne puis à l’international.
                                                              En 1960, il exposera aux Etats-Unis, à New York puis à
         Pour que la vente soit véritablement scellée et que   Los Angeles. L’année suivante, la première rétrospective
         l’acheteur devienne le propriétaire de la zone de sen-  de ses œuvres est réalisée dans un musée allemand.
         sibilité picturale immatérielle en question, le reçu doit
         être brûlé par l’acheteur.

         Pendant ce temps, l’artiste rend à la nature la moitié de
         la valeur en or qu’il perçoit lors de la vente. Ce qui équi-
         vaut dans les faits à laisser le grammage d’or correspon-
         dant à la moitié de la valeur de l’œuvre dans la nature,
         à un endroit où personne ne pourra venir le récupérer,
         hypothétiquement dans la Seine.


         Des photographes étaient également présents à la de-
         mande de l’artiste, conscient de devoir conserver des
         traces de ces rituels qui faisaient partie intégrante de
         son Art.
         Cette quasi-cérémonie autour de la vente des zones de
         sensibilité picturale immatérielles illustre l’univers si
         particulier d’Yves Klein, qui souhaitait porter l’immaté-
         rialité aux yeux de tous.



                      Yves Klein, Do-Do-Do (RE 16), 1960 Pigment pur et résine synthétique,
                           éponges naturelles et cailloux sur panneau, 199 x 165 x 18 cm
                                   © Succession Yves Klein c/o ADAGP, Paris, 2020
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